Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/41

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voilà sept cents ans, des institutions libres et le régime des partis ? La plus grossière des erreurs est de s’imaginer que le genre humain ait attendu 1789 pour sentir le goût de l’affranchissement et redouter la tyrannie. Presque partout en Europe, jusqu’au dix-neuvième siècle, où pour la première fois des royautés se sont installées de but en blanc en divers pays et ont pris racine sans difficulté, on a vu les peuples répugner à la monarchie héréditaire, ou ne la laisser s’établir qu’avec lenteur, quelquefois par surprise, quelquefois aussi, comme ce fut le cas pour la dynastie capétienne, en reconnaissance des services rendus.

L’histoire de la France au dixième siècle jusqu’à l’élection de Hugues Capet, présente le raccourci de toute l’histoire d’Allemagne jusqu’à l’aurore de la période contemporaine. Les Carolingiens s’étaient affaiblis beaucoup plus vite, leur décadence avait été beaucoup plus profonde en France qu’en Allemagne. Chez nous, les grands feudataires avaient entrepris aussitôt de profiter de cette circonstance pour énerver et ruiner définitivement le pouvoir royal en portant au trône tantôt un carolingien et tantôt un robertinien, dans l’idée d’empêcher que le pouvoir se fixât dans une même famille. Quand Hugues Capet eut pris le pouvoir, les mêmes éléments se retrouvèrent pour battre en brèche l’autorité de ses successeurs avec l’espoir de la détruire comme ils avaient détruit celle des Carolingiens. Le loyalisme n’est pas toujours la vertu des aristocraties ni des grands.

Hugues Capet et ses descendants restaient des rois élus, comme des consuls à vie, qui, pour tourner le principe de l’élection, faisaient sacrer leur fils aîné avant leur mort, de même que les Empereurs germaniques faisaient, de leur vivant, nommer leur fils « roi des Romains ». Mais l’archevêque de Reims n’avait-il pas d’abord refusé à Hugues Capet de sacrer Robert le Pieux, « de peur, disait-il, que la royauté ne s’acquît désormais par droit héréditaire » ? Paroles significatives, dans la bouche d’un haut dignitaire ecclésiastique qui vivait il y aura bientôt mille ans. Au treizième siècle seulement, Louis VIII, le père de saint Louis, est le premier capétien qui ait eu véritablement accès au trône en vertu du principe héréditaire, qui ait été roi par droit de succession avant de l’être par le sacre et par l’acclamation populaire. Une centaine d’années plus tard,