Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/45

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institutions et les mœurs politiques du Saint-Empire, a décrit en termes énergiques les conséquences du système de l’élection appliqué à la majestueuse souveraineté de ceux qui se prétendaient les suzerains de l’Europe chrétienne : « Les électeurs, dit Bryce, obligeaient le nouvel élu à prendre l’engagement de respecter toutes les immunités dont ils jouissaient, y compris celles qu’ils venaient à l’instant même de lui extorquer pour prix de leur vote ; ils le mettaient dans l’impossibilité absolue de recouvrer des terres ou des droits perdus ; ils s’enhardirent enfin jusqu’à déposer leur chef consacré, Wenceslas de Bohême. Ainsi garrotté, l’Empereur ne cherchait qu’à tirer le plus grand profit possible de son court passage au pouvoir, usant de sa situation pour agrandir sa famille et s’enrichir par la vente des terres et des privilèges de la couronne. » Quel jugement plus sévère porter sur un système politique ? Dans une de ces scènes touffues, au premier abord si obscures, de son second Faust, et qui sont comme de brefs tableaux allégoriques de l’histoire des hommes, Gœthe a représenté avec ironie l’Empereur et les grands, sous le couvert d’un noble langage, calculant, chacun pour son compte et de son côté, ce que leur rapportera l’opération du vote. Jame Bryce montre autre chose encore : c’est que la monarchie élective, « combinaison qui a séduit et qui séduira toujours une certaine catégorie de théoriciens politiques », n’avait pas même apporté à l’Allemagne les bienfaits que l’on croit devoir attendre de la désignation du chef à la majorité des voix. Celui qui était choisi n’était ni le plus capable ni le plus digne : en fait, la couronne impériale fut détenue par un petit nombre de familles qui s’efforçaient de ne pas la laisser échapper. L’habileté, l’intrigue, les combinaisons, la « politique », dans le sens le plus décrié du mot, se substituaient au mérite, qui n’était pris en considération d’aucune manière. C’est ainsi qu’après quelques succès suivis d’échecs, la maison de Habsbourg, à partir de 1438, et sauf une courte interruption de cinq ans au dix-huitième siècle, parvint à garder le mandat impérial, à combiner l’hérédité avec l’élection. Nous avons vu de la même manière, dans notre démocratie républicaine, des sièges de députés se transmettre de père en fils. Mais les convoitises, les calculs, les intérêts de l’élu étaient trop apparents, ses concessions à l’électeur trop