Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
L’HOMME DE COUR

l’homme sage n’en doit épouser aucune. Il y a des goûts étrangers qui n’aiment rien de tout ce qu’aiment les autres. Tout ce qui est singulier leur plaît. Il est vrai que cela les fait connaître, mais c’est plutôt pour être moqués que pour être estimés. Ceux mêmes qui font profession d’être sages doivent bien se garder de l’affecter ; à plus forte raison ceux qui sont d’une profession qui rend ses partisans ridicules. On ne nomme point ici ces emplois, d’autant que le mépris que chacun en fait les fait assez connaître.

XXXI

Connaître les gens heureux, pour s’en servir ;
et les malheureux, pour s’en écarter.

D’ordinaire, le malheur est un effet de la folie ; et il n’y a point de contagion plus dangereuse que celle des malheureux. Il ne faut jamais ouvrir la porte au moindre mal, car il en vient toujours d’autres après, et même de plus grands qui sont en embuscade. La vraie science au jeu est de savoir écarter ; la plus basse de la couleur qui tourne vaut mieux que la plus haute de la partie précédente. Dans le doute, il n’y a rien de meilleur que de s’adresser aux sages ; tôt ou tard on s’en trouvera bien.