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L’HOMME DE COUR

XLV

User de réflexion, sans en abuser.

La réflexion ne doit être ni affectée, ni connue. Tout artifice doit se cacher, d’autant qu’il est suspect ; encore plus toute précaution, parce qu’elle est odieuse. Si la tromperie est en règne, redoublez votre vigilance, mais sans le faire connaître, de peur de mettre les gens en défiance. Le soupçon provoque la vengeance, et fait penser à des moyens de nuire auxquels on ne pensait pas auparavant. La réflexion qui se fait sur l’état des choses est d’un grand secours pour agir. Il n’y a point de meilleure preuve du bon sens que d’être réflexif. La plus grande perfection des actions dépend de la pleine connaissance avec laquelle elles sont exécutées.

XLVI

Corriger son antipathie.

Nous avons coutume de haïr gratuitement, c’est-à-dire avant même que de savoir quel est celui que nous haïssons ; et quelquefois cette aversion vulgaire ose bien attaquer de grands personnages. La prudence la doit surmonter, car rien ne décrédite davantage que de haïr ceux qui méritent le plus d’être aimés. Comme il est glorieux de sympathiser avec les héros, il est honteux d’avoir de l’antipathie pour eux.