Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
L’HOMME DE COUR

commerce du monde. Il faut donc prendre garde à bien jeter son plomb.

LXXIX

L’humeur joviale.

C’est une perfection plutôt qu’un défaut, quand il n’y a point d’excès. Un grain de plaisanterie assaisonne tout. Les plus grands hommes jouent d’enjouement comme les autres, pour se concilier la bienveillance universelle ; mais avec cette différence qu’ils gardent toujours la préférence à la sagesse, et le respect à la bienséance. D’autres se tirent d’affaire par un trait de belle humeur ; car il y a des choses qu’il faut prendre en riant, et quelquefois celles même qu’un autre prend tout de bon. Une belle humeur est l’aimant des cœurs.

LXXX

Être soigneux de s’informer.

La vie se passe presque toute à s’informer. Ce que nous voyons est le moins essentiel. Nous vivons sur la foi d’autrui. L’ouïe est la seconde porte de la vérité, et la première du mensonge. D’ordinaire la vérité se voit, mais c’est un extraordinaire de l’entendre. Elle arrive rarement toute pure à nos oreilles, surtout lorsqu’elle vient de loin ; car alors elle prend quelque teinture des passions qu’elle rencontre sur sa route. Elle plaît ou déplaît, selon les couleurs que lui prête