Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/107

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tous tendent d’un vol égal vers le trône, et tu as admiré souvent leurs ailes qui, sous la voix de Dieu, s’agitent comme les touffes harmonieuses des forêts sous la tempête. Oh ! combien l’espace sans bornes est beau ! dis ?

Le vieillard serra convulsivement la main de Godefroid, et tous deux contemplèrent le firmament dont les étoiles semblaient verser de caressantes poésies qu’ils entendaient.

— Oh ! voir Dieu, s’écria doucement Godefroid.

— Enfant ! reprit tout à coup l’étranger d’une voix sévère, as-tu donc si tôt oublié les enseignements sacrés de notre bon maître le docteur Sigier ? Pour revenir, toi dans ta patrie céleste, et moi dans ma patrie terrestre, ne devons-nous pas obéir à la voix de Dieu ? Marchons résignés dans les rudes chemins où son doigt puissant a marqué notre route. Ne frémis-tu pas du danger auquel tu t’es exposé ? Venu sans ordre, ayant dit : Me voilà ! avant le temps, ne serais tu pas retombé dans un monde inférieur à celui dans lequel ton âme voltige aujourd’hui ? Pauvre chérubin égaré, ne devrais-tu pas bénir Dieu de t’avoir fait vivre dans une sphère où tu n’entends que de célestes accords ? N’es-tu pas pur comme un diamant, beau comme une fleur ? Ah ! si, semblable à moi, tu ne connaissais que la cité des douleurs ! À m’y promener, je me suis usé le cœur. Oh ! fouiller dans les tombes pour leur demander d’horribles secrets ; essuyer des mains altérées de sang, les compter pendant toutes les nuits, les contempler levées vers moi, en implorant un pardon que je ne puis accorder ; étudier les convulsions de l’assassin et les derniers cris de sa victime ; écouter d’épouvantables bruits et d’affreux silences ; le silence d’un père dévorant ses fils morts ; interroger le rire des damnés ; chercher quelques formes humaines parmi des masses décolorées que le crime a roulées et tordues ; apprendre des mots que les hommes vivants n’entendent pas sans mourir ; toujours évoquer les morts, pour toujours les traduire et les juger, est-ce donc une vie ?

— Arrêtez ! s’écria Godefroid, je ne saurais vous regarder, vous écouter davantage ! Ma raison s’égare, ma vue s’obscurcit. Vous allumez en moi un feu qui me dévore.

— Je dois cependant continuer, reprit le vieillard en secouant sa main par un mouvement extraordinaire qui produisit sur le jeune homme l’effet d’un charme.

Pendant un moment, l’étranger fixa sur Godefroid ses grands