Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/111

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unis. Quand je vis pour la première fois ma chère Térésa Donati, elle avait dix ans. Nous nous aimâmes alors, sans savoir ce qu’était l’amour. Notre vie fut une même vie : je pâlissais de sa pâleur, j’étais heureux de sa joie ; ensemble, nous nous livrâmes au charme de penser, de sentir, et l’un par l’autre nous apprîmes l’amour. Nous fûmes mariés dans Crémone, jamais nous ne connûmes nos lèvres que parées des perles du sourire, nos yeux rayonnèrent toujours ; nos chevelures ne se séparèrent pas plus que nos vœux ; toujours nos deux têtes se confondaient quand nous lisions, toujours nos pas s’unissaient quand nous marchions. La vie fut un long baiser, notre maison fut une couche. Un jour Térésa pâlit et me dit pour la première fois : — Je souffre ! Et je ne souffrais pas ! Elle ne se releva plus. Je vis, sans mourir, ses beaux traits s’altérer, ses cheveux d’or s’endolorir. Elle souriait pour me cacher ses douleurs ; mais je les lisais dans l’azur de ses yeux dont je savais interpréter les moindres tremblements. Elle me disait : — Honorino, je t’aime ! au moment où ses lèvres blanchirent ; enfin, elle serrait encore me main dans ses mains quand la mort les glaça. Aussitôt je me tuai pour qu’elle ne couchât pas seule dans le lit du sépulcre, sous son drap de marbre. Elle est là-haut, Térésa, moi, je suis ici. Je voulais ne pas la quitter, Dieu nous a séparés ; pourquoi donc nous avoir unis sur la terre ? Il est jaloux. Le paradis a été sans doute bien plus beau du jour où Térésa y est montée. La voyez-vous ? Elle est triste dans son bonheur, elle est sans moi ! Le paradis doit être bien désert pour elle. » — Maître, dis-je en pleurant, car je pensais à mes amours, au moment où celui-ci souhaitera le paradis pour Dieu seulement, ne sera-t-il pas délivré ? Le père de la poésie inclina doucement la tête en signe d’assentiment. Nous nous éloignâmes en fendant les airs, sans faire plus de bruit que les oiseaux qui passent quelquefois sur nos têtes quand nous sommes étendus à l’ombre d’un arbre. Nous eussions vainement tenté d’empêcher l’infortuné de blasphémer ainsi. Un des malheurs des anges des ténèbres est de ne jamais voir la lumière, même quand ils en sont environnés. Celui-ci n’aurait pas compris nos paroles.

En ce moment, le pas rapide de plusieurs chevaux retentit au milieu du silence, le chien aboya, la voix grondeuse du sergent lui répondit ; des cavaliers descendirent, frappèrent à la porte, et le bruit s’éleva tout à coup avec la violence d’une détonation inatten-