Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/124

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récréations du dimanche, et où nous allions à tour de rôle dépenser la somme qui nous était attribuée ; mais où la modicité de la pension accordée par nos parents à nos menus plaisirs nous obligeait de faire un choix entre tous les objets qui exerçaient de si vives séductions sur nos âmes ? La jeune épouse à laquelle, durant les premiers jours de miel, son mari remet douze fois dans l’année une bourse d’or, le joli budget de ses caprices, a-t-elle rêvé jamais autant d’acquisitions diverses dont chacune absorbe la somme, que nous n’en avons médité la veille des premiers dimanches du mois ? Pour six francs, nous possédions, pendant une nuit, l’universalité des biens de l’inépuisable boutique ! et, durant la messe, nous ne chantions pas un répons qui ne brouillât nos secrets calculs. Qui de nous peut se souvenir d’avoir eu quelques sous à dépenser le second dimanche ? Enfin qui n’a pas obéi par avance aux lois sociales en plaignant, en secourant, en méprisant les Pariahs que l’avarice où le malheur paternel laissaient sans argent ? Quiconque voudra se représenter l’isolement de ce grand collége avec ses bâtiments monastiques, au milieu d’une petite ville, et les quatre parcs dans lesquels nous étions hiérarchiquement casés, aura certes une idée de l’intérêt que devait nous offrir l’arrivée d’un nouveau, véritable passager survenu dans un navire. Jamais jeune duchesse présentée à la cour n’y fut aussi malicieusement critiquée que l’était le nouveau débarqué par tous les écoliers de sa Division. Ordinairement, pendant la récréation du soir, avant la prière, les flatteurs habitués à causer avec celui des deux Pères chargés de nous garder une semaine chacun à leur tour, qui se trouvait alors en fonctions, entendaient les premiers ces paroles authentiques : — «  Vous aurez demain un Nouveau ! » Tout à coup ce cri : — « Un Nouveau ! un Nouveau ! » retentissait dans les cours. Nous accourions tous pour nous grouper autour du Régent, qui bientôt était rudement interrogé. — D’où venait-il ? Comment se nommait-il ? En quelle classe serait-il ? etc.

L’arrivée de Louis Lambert fut le texte d’un conte digne des Mille et une Nuits. J’étais alors en quatrième chez les Petits. Nous avions pour Régents deux hommes auxquels nous donnions par tradition le nom de Pères, quoiqu’ils fussent séculiers. De mon temps, il n’existait plus à Vendôme que trois véritables Oratoriens auxquels ce titre appartînt légitimement ; en 1814, ils quittèrent le collége, qui s’était insensiblement sécularisé, pour se réfugier auprès des