Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/147

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tête se perd. Je ne veux penser à rien, le cœur est un bon guide.

Eugène fut tiré de sa rêverie par la voix de la grosse Sylvie, qui lui annonça son tailleur, devant lequel il se présenta, tenant à la main ses deux sacs d’argent, et il ne fut pas fâché de cette circonstance. Quand il eut essayé ses habits du soir, il remit sa nouvelle toilette du matin qui le métamorphosait complètement.

— Je vaux bien monsieur de Trailles, se dit-il. Enfin j’ai l’air d’un gentilhomme !

— Monsieur, dit le père Goriot en entrant chez Eugène, vous m’avez demandé si je connaissais les maisons où va madame de Nucingen ?

— Oui !

— Eh bien ! elle va lundi prochain au bal du maréchal Carigliano. Si vous pouvez y être, vous me direz si mes deux filles se sont bien amusées, comment elles seront mises, enfin tout.

— Comment avez-vous su cela, mon bon père Goriot ? dit Eugène en le faisant asseoir à son feu.

— Sa femme de chambre me l’a dit. Je sais tout ce qu’elles font par Thérèse et par Constance, reprit-il d’un air joyeux.

Le vieillard ressemblait à un amant encore assez jeune pour être heureux d’un stratagème qui le met en communication avec sa maîtresse sans qu’elle puisse s’en douter.

— Vous les verrez, vous ! dit-il en exprimant avec naïveté une douloureuse envie.

— Je ne sais pas, répondit Eugène. Je vais aller chez