Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/59

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larmes, et la veuve s’arrêta sur un signe que lui fit madame Couture.

— Si nous pouvions seulement le voir, si je pouvais lui parler, lui remettre la dernière lettre de sa femme, reprit la veuve du commissaire ordonnateur. Je n’ai jamais osé la risquer par la poste ; il connaît mon écriture…

Ô femmes innocentes, malheureuses et persécutées ! s’écria Vautrin en interrompant, voilà donc où vous en êtes ? D’ici à quelques jours, je me mêlerai de vos affaires, et tout ira bien.

— Oh ! monsieur, dit Victorine en jetant un regard à la fois humide et brûlant à Vautrin, qui ne s’en émut pas, si vous saviez un moyen d’arriver à mon père, dites-lui bien que son affection et l’honneur de ma mère me sont plus précieux que toutes les richesses du monde. Si vous obteniez quelques adoucissement à sa rigueur, je prierais Dieu pour vous. Soyez sûr d’une reconnaissance…

J’ai longtemps parcouru le monde, chanta Vautrin d’une voix ironique.

En ce moment, Goriot, mademoiselle Michonneau, Poiret descendirent, attirés peut-être par l’odeur du roux que faisait Sylvie pour accommoder les restes du mouton. À l’instant où les sept convives s’attablèrent en se souhaitant le bonjour, dix heures sonnèrent : on entendit dans la rue le pas de l’étudiant.

— Ah bien, monsieur Eugène, dit Sylvie, aujourd’hui, vous allez déjeuner avec tout le monde.

L’étudiant salua les pensionnaires, et s’assit auprès du père Goriot.

— Il vient de m’arriver une singulière aventure, dit-il