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le sang de la coupe

Ô Job mourant ! sa bouche a baisé ton ulcère,
Et cependant un jour, parmi les deuils amers,
L’exil noir l’emporta dans son horrible serre
Et le laissa, pensif, au bord des sombres mers.

Il méditait, privé de la douce patrie ;
Et, lui que cette France a connu triomphant,
Il ne pouvait plus même, en son idolâtrie,
S’agenouiller dans l’herbe où dormait son enfant !

Près de lui cependant, invisible et farouche,
Némésis au courroux redoutable et serein,
Épouvantant les flots du souffle de sa bouche,
Crispait ses doigts sanglants sur la lyre d’airain.

Mais le jour où la Guerre entoura nos murailles,
Où le vaillant Paris, agonisant enfin,
Succombait, et sentit le vide en ses entrailles,
Il revint, il voulut comme nous avoir faim !

Quand sur nous le Carnage enfla son aile noire,
Quand Paris désolé, grand comme un Ilion,
Proie auguste, servit de pâture à l’Histoire,
On revit parmi nous sa face de lion.

Et puis enfin l’aurore éclata sur nos cimes !
Le rêve affreux s’enfuit, par le vent emporté,
Et frémissants encor, de nouveau nous revîmes
Fleurir la poésie avec la liberté.