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le sang de la coupe

Hèra sentit la rage emplir son cœur jaloux.
Sur son lit solitaire elle versa des larmes,
Et par ces mots amers exhala son courroux :
Quoi ! ce n’est point assez d’avoir vu tous mes charmes
Haïs et dédaignés pour des baisers mortels !
Non contente à la fin d’outrager mes autels,
Et d’attirer à soi, lorsque la nuit scintille,
L’amour de Zeus qui fuit loin de mes bras tremblants,
Ma rivale en reçoit un gage dans ses flancs !
Mais, ô Kronos, Titan rusé, je suis ta fille !

Elle dit. Aussitôt elle ride son front
Comme s’il eût des ans subi le rude affront.
De rares cheveux gris elle ombrage sa tempe,
Et fuit vers Sémélé dans un nuage d’or.
Sérieuse, courbée, et portant une lampe,
Parlant à mots comptés d’une voix ferme encor,
Elle avait tout l’aspect de la sage nourrice
Béroë, qui porta Sémélé dans ses bras.
Hélas ! dit-elle, enfant, redoute un artifice.
Bientôt, le cœur gonflé de pleurs, tu gémiras,
Car souvent un mortel, le mensonge à la bouche,
Est monté comme dieu sur une chaste couche.

Si l’amant de tes nuits est le Dieu des humains,
Qu’il vienne à toi, brillant des clartés qu’il étale
Aux genoux dédaigneux de Hèra ta rivale,
Ceint d’éclairs et terrible, avec la foudre aux mains.