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le sang de la coupe

La richesse, voilà la vraie amante blonde,
Disent-ils. Ses cheveux sont couleur du soleil,
Sa bouche est de corail et non de chair immonde,
Ses yeux sont de lapis, son sein d’argent vermeil,
Et, lumineux trésor, de la nuque à l’orteil
Tout son corps est sorti des mines de Golconde.

Nous pouvons avec l’or, nouveaux Pygmalions,
Faire vivre le marbre au gré de nos caprices,
Atteindre les vautours et dompter les lions,
Et prendre les enfants au sein de leurs nourrices,
Et les reines du monde et les impératrices
Déchausseraient le soir nos pieds, si nous voulions.

Sur les monts chevelus où gravissent les chèvres,
Près d’un adolescent beau comme Gabriel,
La pâle prophétesse, en proie à mille fièvres,
Jette son ode impie aux quatre vents du ciel,
Et, sorti de son cœur où déborde le fiel,
Son iambe lui brûle et lui sèche les lèvres.

La moderne Sappho, qu’agite un grand dessein,
Trempe ses longs cheveux dans sa coupe d’absinthe.
Cette sœur du Titan rêve un autre larcin,
Et, tressaillant trois fois comme une femme enceinte,
Blasphème le plaisir et la volupté sainte
Que l’orgueil parricide a tués dans son sein.