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le sang de la coupe

Ses yeux que le courroux et la honte embrasaient
Et son corps rougissant présageaient cent désastres ;
Ses pieds, où les oiseaux naguère se posaient,
Du palais magnifique ébranlaient les pilastres,
Et dans les noirs jardins du ciel, ses mains brisaient
Sur leurs tiges d’azur les calices des astres.

Ses cheveux flamboyaient d’or, de pourpre et de feu,
Et, dénoués, pareils aux panaches horribles
Que hérisse l’effroi sur le casque d’un dieu,
Ensanglantaient les airs, comètes invisibles.
La Déesse, le dos frémissant dans l’air bleu,
Exhala son courroux dans ces strophes terribles :

Ô ville qui meurtris mon cœur et vends ma chair !
Si ma main sait verser le fiel plein d’amertume,
Si mon regard flétrit, si mon venin consume,
Si je naquis avec les filles de l’enfer
Sous l’éclair effrayé, dans le sang et l’écume
Et du corps d’un grand dieu mutilé par le fer !

Écroule-toi ! Soyez maudites, ô murailles !
Par le sein de la femme, où l’enfant allaité
Boit l’oubli de la Mort dans un vivant Léthé !
Meurs ! Par ses flancs féconds vainqueurs des funérailles,
Par tout ce qui tressaille au fond de mes entrailles,
Par mon corps palpitant sous les feux de l’été !