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le sang de la coupe

Ce mot terrible, c’est : Après ? Toutes tes veilles,
Donne-les, et plus fier qu’un archange impuni,
Pose sur Pélion des Ossas de merveilles !
Fais l’impossible, et trouve un corps à l’infini !

Gonfle de passion les figures d’argile !
Crée, anime, bâtis ! Jusque sous les cyprès
Dont l’ombre endormira ta dépouille fragile,
L’inexorable voix viendra crier : Après ?

Tu peux, par ton regard effrayant les désastres,
Dans l’espace que Dieu pour les siens fit exprès,
Enchaîner comme lui des mondes et des astres :
Après ? dira le peuple insatiable, après ?

Tu peux faire fleurir tout le jardin des œuvres,
Et, bravant leur air sombre et pestilentiel,
Dessécher les marais où sifflent les couleuvres,
Après ? dira toujours le peuple. — Après ? Ô ciel !

Après ? Mais j’ai vaincu la forme et la lumière !
Mes yeux ont bu l’azur, et j’ai dans mon compas
Tenu la voûte immense ! Ô foule coutumière,
Après ? après ? dis-tu ; ne te souviens-tu pas ?

Dans les noires forêts, sur les monts de la Thrace,
Par les pleurs de ma lyre enchantant leur courroux,
J’ai fait bondir d’amour et courir sur ma trace
Le tigre et la panthère et les grands lions roux.