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le sang de la coupe

Cette reine sereine et folle, c’est la Mode.
Cent filles de seize ans, nymphes aux fiers trésors,
Le long de leurs genoux, pour éclairer mon ode,
De leurs cheveux épars laissent flotter les ors.

Leurs ongles sont armés de l’aiguille féerique,
Et dans la blonde en fleur cisèlent un bonnet,
Comme Pétrarque, fils de la Grèce lyrique,
Pour la chaude Italie ébauchait le sonnet.

Elle sort de leur main voluptueuse et douce,
La pourpre qu’eût aimée un prince lydien,
Et, nuage de feu, ce cachemire où Brousse
Nous vend toutes les fleurs du soleil indien.

Et lorsque de New-York, de Londres ou d’Asie,
Les reines des salons de tous les archipels
Disent : Quel nouveau charme et quelle fantaisie
Rajeunira demain nos attraits éternels ?

Mille petits Amours, cohorte aux ailes roses,
Du palais radieux s’envolent tout joufflus,
Et, traversant le ciel rempli d’apothéoses,
Portent à l’univers ces ordres absolus :

Demain, vous porterez ces étoffes de guêpe,
Satins d’or dont le rose illumine les bouts,
Et ces chapeaux tout clairs, faits de brume ou de crêpe
Où flotte la nuée en fleur des marabouts !