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le sang de la coupe

Une vierge aux pieds nus, triomphante et superbe,
Les cheveux dénoués, va dans les prés fleuris.
Des pâtres en haillons la renversent dans l’herbe,
Et luttent avec elle en poussant de grands cris.

Cependant quelque part, sur une haute cime,
On entend une voix dire avec un grand bruit :
Ne visez pas, chasseurs, cet aigle au vol sublime ;
Nuages, ôtez-vous de ce soleil qui luit !

Que tes vagues, ô mer, se calment sur la berge ;
Poissons, ne troublez plus les flots calmes et doux ;
Pâtres, ouvrez ces bras qui blessent une vierge !
Cet aigle est dans les cieux à l’abri de vos coups ;

Il flamboiera toujours, ce soleil, œil du monde ;
Il brisera vos dents, ce rocher de la mer ;
Ce lys restera pur près des saphirs de l’onde ;
Vous ne lasserez pas cette vierge au cœur fier.

Ô Génie ! ô Génie ! œuvre de Dieu lui-même,
Orgueil sacré de l’homme, espoir des cœurs voilés,
Ton éclat magnifique, éternel et suprême,
Ne s’éteindra pas plus que les cieux étoilés !


Juin 1847.