Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/174

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Puisque la seule enfant qui pouvait sur la terre
Étreindre ma pensée et toutes ses splendeurs
À refusé sa lèvre au fruit qui désaltère
Et comme un vieux haillon rejeté mes grandeurs,
J’achèverai tout seul ma course solitaire,
Et nul ne connaîtra mes sourdes profondeurs.

Passez autour de moi, femmes riches et belles !
Je pourrais d’un seul mot conserver ces appas
Qui jauniront demain sous vos blanches dentelles ;
Mais ce mot infini qui vous rend immortelles
Est mon secret à moi que je ne dirai pas,
Et la droite du Temps effacera vos pas !

Ô lutteurs gangrenés ! mourantes populaces !
Je sais sous quel fardeau se courbent vos audaces,
Et ma parole d’or allégerait vos pas.
Je pourrais ramener le bonheur sur vos places
Et sécher la sueur qui mouille vos repas ;
Mais ce mot qui guérit, je ne le dirai pas !

Je veux voir le vieux monde élaborer le crime
Sous le marteau pesant de la Fatalité,
Seul, muet, dédaigneux de l’éternelle cime,
Avare de ma force et de ma liberté,
Ne me souciant plus que le vol de la Rime
Emporte mes héros dans l’immortalité !