Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/177

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Et le moment fatal où tous ceux de la terre,
         De la plaine et des monts,
Avaient dit : Tu n’es pas, ô rêveur solitaire,
         De ceux que nous aimons !

Parfois un souvenir des heures amoureuses
         Illuminait ses traits,
Comme passent le soir des pourpres vaporeuses
         Entre les noirs cyprès.

Il retrouvait la chère et fugitive image,
         Et de son œil hagard
Il croyait l’entrevoir à travers le nuage
         Qui voilait son regard.

Oh ! non, se disait-il, tu mens, pâle Agonie !
         Un fantôme trompeur
Me charmait ; la Misère est là, tout me renie :
         La Misère fait peur !

L’ingrat ne savait pas que, malgré son blasphème,
         Son rêve s’achevait,
Et que la jeune fille était, vivant poème,
         Assise à son chevet.

Sur le front du mourant elle posa sa tête,
         Pour y dormir un peu
Avant que l’Ange prît cette âme de poète
         Pour la mener à Dieu.