Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/186

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C’était un assemblage étrange, et que je veux
Vous peindre : l’un riant d’un sourire nerveux
Et sentant chaque jour le désespoir avide
Graver sur son front large une nouvelle ride,
Et l’autre, frais et rose avec de blonds cheveux,
Et foudroyant le mal de son doute candide.

Pareilles à deux fleurs au parfum pénétrant,
Ils avaient confondu leurs deux âmes jumelles,
Si bien que la souffrance avec de sombres ailes
Emportait le bonheur pour le faire plus grand,
Noyant sa douce voix dans les plaintes mortelles,
« Comme un flot de cristal dans un sombre torrent. »

C’est ainsi que César dans ses longues veillées
Disait à Sténio ses désillusions,
Ses premiers jours de foi, diaprés de rayons,
Ses espoirs, et comment sans relâche éveillées,
Des haines, par la nuit et l’enfer conseillées,
Souillent de leur venin tout ce que nous croyons.

Encore extasié de sa jeunesse franche,
Pleine d’enthousiasme et de rêves touchants,
Amoureuse des bois, de la nuit et des champs,
Et de l’oiseau craintif qui chante sur la branche,
Il lui parlait de l’homme, et disait ce qui tranche
Les fils de soie et d’or de l’amour et des chants.