Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/188

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Mais lorqu’ils se quittaient, c’était comme une trêve
Où chacun dans son cœur changeant de souvenir,
Y sentait circuler une nouvelle sève
Et comme un feu divin la force revenir.
Car ils rêvaient tous deux, sans s’avouer leur rêve,
Sténio de douleur, et César d’avenir !

Et quand César voulait attendre sur sa route
Le coursier de Lénore et le saisir aux crins,
Il se disait en lui, comme l’homme qui doute :
Qui soustraira mon frère aux dangers que j’ai craints ?
Je lui dois ma douleur, et je la lui dois toute,
Et j’en garde pour lui les splendides écrins.

Mais lorsque Sténio fut complet, que la gloire
L’eut porté rayonnant à son temple d’ivoire,
César pensa tout bas : Ô mort que je rêvais !
Puisque j’ai pour toujours assuré sa mémoire
Et qu’il sait à présent tout ce que je savais,
Je n’ai plus rien à dire au monde et je m’en vais !

J’étais le piédestal de sa blanche statue :
Les peuples aujourd’hui la lèvent de leurs fronts.
Puisque la seule foi que ma pensée ait eue
Marche dans son triomphe, à l’abri des affronts,
Je serai tombé seul sous le coup qui me tue,
Et le repos m’attend dans la tombe : mourons !