Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/224

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Des Boucher fleurissants épanouis au mur,
Et des vases chinois pleins de pays d’azur.
Hélas ! qui se connaît aux affaires humaines ?
On se trompe aux Agnès tout comme aux Célimènes :
Toute prédiction est un rêve qui ment !
Ainsi jugez un peu de mon étonnement
Lorsque la Nérissa de la femme aux épaules
Vint, avec un air chaste et des cheveux en saules,
Annoncer nos deux noms, et que je vis enfin
L’endroit mystérieux dont j’avais eu si faim.
C’était un oratoire à peine éclairé, grave
Et mystique, rempli d’une fraîcheur suave,
Et l’œil dans ce réduit calme et silencieux
Par la fenêtre ouverte apercevait les cieux.
Le mur était tendu de cette moire brune
Où vient aux pâles nuits jouer le clair de lune,
Et pour tout ornement on y voyait en l’air
La Melancholia du maître Albert Dürer,
Cet Ange dont le front, sous ses cheveux en ondes,
Porte dans le regard tant de douleurs profondes.
Sur un meuble gothique aux flancs noirs et sculptés
Parlant des voix du ciel et non des voluptés,
Souriait tristement une Bible entr’ouverte
Sur une tranche d’or ouvrant sa robe verte.
Pour la femme, elle était assise, en peignoir brun,
Sur un pauvre escabeau. Ses cheveux sans parfum
Retombaient en pleurant sur sa robe sévère.
Son regard était pur comme une primevère