Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/236

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Que tu ne m’apparais à présent tout entière,
Depuis que tu n’as plus ce chœur mélodieux
De tes fils immortels, orgueil de la Matière.
Aïeule au flanc meurtri, Nature, où sont tes Dieux ?
Jadis, avant, hélas ! que l’Ignorance impie
T’eût dédaigneusement sous ses pieds accroupie,
Nature, comme nous tu vivais, tu vivais !
Avec leurs rocs géants, leurs granits et leurs marbres,
Les monts furent alors les immenses chevets
Où tu dormais la nuit dans ta ceinture d’arbres.
Les constellations étaient des yeux vivants,
Une haleine passait dans le souffle des vents ;
Leur aile frissonnante aux sauvages allures
Qui brise dans les bois les grands feuillages roux,
En pliant les rameaux courbait des chevelures,
Et dans la mer, ces flots palpitants de courroux
Ainsi que des lions, qui sous l’ardente lame
Bondissent dans l’azur, étaient des seins de femme.
Mais que dis-je, ô Dieux forts, Dieux éclatants, Dieux beaux,
Triomphateurs ornés de dépouilles sanglantes,
Porteurs d’arcs, de tridents, de thyrses, de flambeaux,
De lyres, de tambours, d’armes étincelantes,
Voyageurs accourus du ciel et de l’enfer,
Qui parmi les buissons de Sicile et de Corse
Avec vos cheveux blonds toujours vierges du fer
Parliez dans le nuage et viviez dans l’écorce,
Dieux exterminateurs des serpents et des loups,
Non, vous n’êtes pas morts ! En vain l’homme jaloux