Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/237

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Dit que l’Érèbe a clos vos radieuses bouches :
Moi qui vous aime encor, je sais que votre voix
Est vivante, et vos fronts célestes, je les vois !
Je vois l’ardent Bacchus, Diane aux yeux farouches,
Vénus, et toi surtout dont le nom triomphant
Écrasera toujours leur espoir chimérique,
Ô Muse ! qui naguère et tout petit enfant
M’a choisi pour les vers et pour le chant lyrique !
Nourrice de guerriers, louangeuse Érato !
Déjà le blanc cheval aux yeux pleins d’étincelles,
Impatient du libre azur, ouvre ses ailes
Et de ses pieds légers bondit sur le coteau.
Saisis sa chevelure, et dans l’herbe fleurie
Que le coursier t’emporte au gré de sa furie !
Puis quand tu reviendras, Muse, nous chanterons.
Va voir les durs combats, les grands chocs, les mêlées,
Des crinières de pourpre au vent échevelées,
Des blessures brisant les bras, trouant les fronts,
Et, comme un vin joyeux sort des vendanges mûres,
Le rouge flot du sang coulant sur les armures,
Et l’épée autour d’elle agitant ses éclairs,
Et les soldats avec une âme vengeresse
Bondissant, emportés par le chef aux yeux clairs.
Va, mais que ni les rois, ni le peuple, ô Déesse,
Ne puissent te convaincre et changer ton dessein,
Car seule gouvernant les chants où tu les nommes,
Plus forte que la vie et le destin des hommes,
L’immuable Justice habite dans ton sein.