Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/32

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S’il n’eût été choisi pour la grande douleur
Que les Dieux immortels égalent à la leur,
Et s’il n’eût regretté ce type insaisissable
Comme une goutte d’eau dans un désert de sable,
Ce spectre qui de loin vous fait voir un sein nu
Et fuit, vierge, un amant qui ne l’a pas connu.
Oh ! pour que dans mes vers ton doux nom resplendisse,
Victime aux pieds légers, réponds, jeune Eurydice !
Le ciel t’envoyait-il à notre humanité
Pour montrer qu’ici-bas l’éternelle Beauté
Ne se révèle à nous que dans l’éclair d’un rêve ?
Blonde et rieuse enfant, douce comme notre Ève,
N’étais-tu pas, avec ton front chaste et divin,
L’image du bonheur que nous touchons en vain,
Qui nous apparaît tel que nos vœux le choisissent,
Et qui s’évanouit quand nos mains le saisissent ?
Qu’avais-tu fait aux Dieux ? à quoi pensait la Mort,
Quand les bois gémissant la virent, sans remord
Sur ta lèvre surprise éteignant la parole,
Fermer ta bouche en fleur ainsi qu’une corolle ?
   Eurydice ! pendant que de son pas léger
Elle fuyait les cris d’un insolent berger,
Courant éperdûment dans les vertes campagnes
De la Thrace, avec les Naïades ses compagnes,
Elle tomba, mordue au pied par un serpent.
Déroulant ses anneaux et dans l’herbe rampant,
Le monstre au cou livide et qu’une bave arrose,
Furtif, avait rampé vers son talon de rose,