Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/37

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Mais farouche, plaintive, et sur un sein de lys
Te serrant, douce Lyre, échappée à son fils !
Puis elle alla s’asseoir aux sables du rivage,
Les yeux illuminés d’une terreur sauvage,
Les cheveux dénoués et mêlés de roseaux,
Et l’épaule bleuie à l’étreinte des eaux.
   Là, pleine d’amertume en son âme qui saigne,
Et regardant les fronts que la lumière baigne,
Elle chercha des yeux le mortel assez grand
Pour tenir la cithare où pleure un souffle errant.
Mais nul n’osa prétendre à ce divin trophée
De mort et d’harmonie. Ainsi mourut Orphée,
La Lyre. Mais plus tard ce fut de son esprit
Errant dans les grands bois où l’herbe en fleur sourit,
Mais que le bûcheron frappe de sa cognée ;
Ce fut de son amour, de son âme indignée
Que naquirent tous ceux dont le chant vif et clair
S’envole dans l’orage en feu comme l’éclair
Et plane comme un aigle au sein des cieux féeriques,
Les dompteurs, les charmeurs, les poètes lyriques :
Tyrtée, Alcée en pleurs dont les vers fulgurants
Ont jeté la terreur dans l’âme des tyrans,
Et dont la sombre haine invincible et crispée
Se retrouve, ô Chénier ! sur ta tête coupée ;
Pindare que d’en haut suivent les Dieux épars,
Qui chante dans le bruit des coursiers et des chars
Et qui s’envole au but sacré tout d’une haleine !
Et toi, grande Sappho, reine de Mitylène !