Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/51

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Les nénuphars penchés et les pâles roseaux
Qui disent leur chant sombre au murmure des eaux,
Le chêne gigantesque et l’humide oseraie
Qui trace sur le sol comme une longue raie,
L’aigle énorme et l’oiseau qui chante à son réveil,
Tout revit et palpite aux baisers du soleil.
C’est de lui qu’ici-bas toute splendeur émane ;
C’est lui qui répandant la clarté diaphane,
Charme le tendre lys comme le jeune aiglon,
En secouant au loin ses cheveux d’Apollon.
De même, dans ce monde aux choses incertaines,
Où la voix du poète est le bruit des fontaines,
Où les vers éblouis sont la brise et les fleurs,
Les rires des rayons, les diamants des pleurs,
Toute création à laquelle on aspire,
Tout rêve, toute chose, émanent de Shakespeare.
   Shakespeare, ce penseur ! ombre ! océan ! éclair !
Abîme comme Goethe ! âme comme Schiller !
Or pur dont la splendeur s’éveille dans la flamme !
Œil ouvert gravement sur la nature et l’âme
Phare qui, pour guider les pâles matelots,
Rayonne dans la nuit sur des alpes de flots !
Mille autres avant lui, farouches statuaires,
Ont tourmenté l’argile au fond des sanctuaires
Sans avoir entendu le mot essentiel,
Et voulaient dans leurs mains prendre le feu du ciel ;
Mille autres ont chanté, mais devant le prestige
De leur création, ils ont eu le vertige ;