Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/60

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Dorment les Sésostris auprès des Néchaos,
Notre art, monde autrefois, redevenait chaos.
   Puis, après bien longtemps, lorsque sur des idées
Mortes en germe avant qu’on les eût fécondées,
Les sons, comme des flots qui tourmentent leurs quais,
Se furent bien longtemps dans l’ombre entrechoqués,
Le peuple vit soudain rayonner sur sa face
Un point resplendissant de lumière vivace.
Et comme on demandait quel était ce flambeau
Qui jetait sur la nuit un prestige si beau,
Les plus sages ont vu que c’était l’auréole
Au front du jeune enfant marqué pour la parole,
Comme furent jadis les hommes de Sion,
Et venu pour grandir sa génération.
   Ce n’était qu’un enfant. L’airain aux Feuillantines
L’avait bercé jadis de ses voix argentines :
Dans un jardin antique ombragé comme un bois,
La Nature, qui parle avec ses mille voix,
Lui disait chaque jour le secret grandiose.
Ivre de chants, de fleurs et de parfums de rose,
Il complétait son âme, oubliant, oublié,
Par un passé de gloire à l’avenir lié,
Méditant sans effort pour sa pensée agile
Virgile par les champs et les champs par Virgile ;
Dans son cœur inspiré, mais grave et sérieux,
Cherchant déjà le sens des bruits mystérieux,
Aux lauriers paternels, aux doux baisers de mère,
Comprenant les deux mots que lui disait Homère,