Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/70

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Joyeux, gai, chérissant la vie et son ivresse,
Mais plus jaloux toujours de ma blonde paresse.
Je continue à croire ici que les héros
Trouveraient dans les champs, à l’ombre des sureaux,
Ce qu’ils cherchent au sein des batailles rangées.
Quant aux paupières, moi, je les aime orangées.
Pour dormir le matin, j’aime épais les rideaux,
Et préfère ardemment le Bourgogne au Bordeaux.
Puis, n’étant pas de ceux que l’amour scandalise
J’en parle volontiers chez une Cidalise.
Rousse comme à Cythère, et les yeux éclatants,
Sa taille a beaucoup plu quand elle avait vingt ans.
Ainsi, je te l’ai dit, je suis toujours le même,
Toujours aussi Français, toujours aussi Bohème,
Toujours de bonne race enfin, dur comme un roc
Aux faiseurs, et moins fort que le bon Paul de Kock
Pour agencer tout seul le plan de quelque chose,
Du reste, chérissant l’écarlate et le rose.
  Ma Muse, à moi, n’est pas une de ces beautés
Qui se drapent dans l’ombre avec leurs majestés
Comme avec un manteau romain. C’est une fille
À l’allure hardie, au regard qui pétille ;
Charmeresse indolente, elle sait parfumer
Ses bras nus de verveine et de rose, et fumer
La cigarette ; elle a des étreintes lascives,
Des chastetés d’enfant et des larmes furtives.
Ne t’étonne donc pas que de l’ami Prosper
Elle ne t’ait pas fait un héros duc et pair.