Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Dont les cheveux pleureurs vont en rameaux de saules,
C’est trop triste pour moi. Mais de larges épaules,
Des jambes d’amazone et des bras sans défaut,
Et des muscles de fer, voilà ce qu’il me faut !
Avec son torse fier, la Vénus Callipyge,
Comme poëme épique, est un rare prodige.
Des bandeaux moyen âge avec des yeux cernés
Font de sombres profils d’archanges consternés ;
Mais cette lèvre rouge et ce sein qui frissonne,
Le port majestueux que la stature donne,
Ces hanches aux plis durs, ces robustes appas,
Qui vous les donnera, si vous n’en avez pas ?
  Il faut avoir jauni dans un cachot bien sombre,
Où de pâles serpents se caressent dans l’ombre,
Pour bien savourer l’air et la beauté des cieux.
On se blase sur tout : sur l’azur des beaux yeux,
Sur le scribe fécond, sur le pâté d’anguille,
Sur le chant que murmure une rieuse fille ;
Et toutes les beautés auxquelles nous croyons
Tombent au souffle impur des désillusions.
Le grand héros nous semble un meurtrier. Le prince
Est pour nous un flâneur venu de sa province,
Le politique, un sot raillé par le destin,
La vierge, une Isabelle agaçant Mezzetin,
L’astronome savant un fou dans les étoiles,
Ce divin coloriste un barbouilleur de toiles ;
Nos souvenirs aimés deviennent des fardeaux,
Et les pauvres honteux achètent des landaus.