Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/81

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L’héritage de l’oncle, un fort bel héritage
Qui n’aurait pas tenu de Pe¤afiel au Tage.
Ayant enfin rempli tous les devoirs que feu
Notre oncle, s’il fut riche, impose à son neveu,
Il s’entoura d’un crêpe, et prit la malle-poste,
Rêveur comme un lépreux de la cité d’Aoste.
De plus, quand il revint, son père avait quitté
Notre monde frivole et plein d’iniquité.
Que de morts à la fois ! c’est comme un mélodrame
Où les trépas fameux s’impriment à la rame,
Bel art au nom duquel d’Ennery mérita
La croix ! Prosper pleura beaucoup, mais hérita.
C’est un baume aux chagrins les plus cuisants. En somme
Il eût trouvé l’auteur de ses jours un brave homme,
Si ce pauvre vieillard à ses derniers moments,
Quoiqu’il eût toujours eu les meilleurs sentiments,
Ne se fût laissé faire une bévue exquise.
Je te le donne en cent ! Il fit… Judith marquise.
  Afin qu’elle eût un père avec un bel hôtel,
Un jour il la mena toute blanche à l’autel.
Quant à son jeune époux, ce fut un diplomate
Haut, sec, raide, pompeux, monté dans sa cravate,
Droit comme un lys, couvert de croix, éblouissant,
Et portant de sinople au griffon d’or yssant
Du chef ; d’ailleurs sauvage, aimant la solitude,
Et voyageant toujours ; mais ayant l’habitude
Mauvaise de rentrer dans sa demeure à pas
De loup, toutes les fois qu’on ne l’attendait pas.