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LES EXILÉS



Au Laurier de la Turbie


Toi qui jusques au ciel montes, colosse droit,
Et qui poses tes pieds dans le roc dur et froid,
Ô symbole ! géant ! bel arbre aux feuilles lisses !
Laurier, ma lâche envie et mes saintes délices !
Fantôme que Pindare ému reconnaîtrait !
Compagnon de la Lyre idéale ! Portrait
De tout ce que j’adore et de tout ce qui m’aime !
Arbre mélodieux, grand comme Phœbos même !
Sombre feuillage, hélas ! mon immortel affront !
Jamais ton noir rameau ne couvrira mon front ;
Ami, c’est comme un vain passant que tu m’accueilles ;
À peine si dans l’ombre une seule des feuilles
Que l’âpre vent du soir t’arrache avec effroi,
Brille, chimère folle, et glisse autour de moi.
Et pourtant, Laurier vert, gloire de la campagne,
Je n’ai souhaité, moi, ni la douce compagne
Dont les regards nous font un ciel dans la maison,
Ni les petits enfants à la blonde toison,