Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
119
LES EXILÉS

Ni la richesse aux doigts parfumés d’ambroisie,
Et tout ce dont l’esprit jaloux se rassasie,
Ni le repos, si cher à des bohémiens ;
Et ces enchantements sans nombre, et tous ces biens
Que notre solitude avidement réclame,
Arbre mouvant ! Laurier ! tu le sais, moi dont l’âme
Bondissait jusqu’aux cieux d’un vol démesuré,
Je n’en ai rien connu, je n’ai rien désiré !
J’ai vécu seul, penché sur le monde physique,
Toujours étudiant le grand art, la Musique,
Dans le cri de la pourpre et dans le chant des fleurs
Où dort la symphonie immense des couleurs,
Dans les flots que la mer jette de ses amphores,
Dans le balancement des étoiles sonores,
Dans l’orgue des grands bois éperdus sous le vent !
J’ai mis tout mon orgueil à devenir savant,
Pâle et muet, j’entends le murmure des roses :
Et de tous les trésors et de toutes les choses
Qui plantent dans nos cœurs un regret meurtrier,
Tu le sais bien, je n’ai voulu que toi, Laurier !


Nice, février 1860.