Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
129
LES EXILÉS


Ainsi le jeune Dieu parlait, et sa fureur
Était comme les flots amers qu’un gouffre emporte,
Et moi je pâlissais de rage et de terreur.

Je tressaillais, sentant mon âme à demi morte,
Comme sous le couteau du boucher la brebis,
Quand le chasseur Amour me parla de la sorte.

Et pourtant j’admirais sa beauté, ses habits
De pourpre, que le vent harmonieux soulève,
Et surtout, ô mon cœur, ses lèvres de rubis,

Larges roses de feu, comme on en voit en rêve,
Et dont le fier carmin, d’un sourire enchanté,
Ressemble à du sang frais sur le tranchant d’un glaive.

J’égarais mes regards sur ce col indompté,
Neige pure, et tandis qu’il m’insultait encore,
Fou de honte, éperdu sous l’âcre volupté,

J’ai crié : Dieu farouche et sanglant, je t’adore.


Mars 1857.