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LES EXILÉS

Elle plante sa dent cruelle dans nos chairs,
Et, pour le désespoir de ceux qui nous sont chers,
Avec les ossements d’où veut sortir un ange
Elle fait de la cendre inerte et de la fange ;
Mais, quand son noir travail est fini, quand sa main
À pendant bien des jours torturé l’être humain,
Lorsqu’elle a transformé ce chef-d’œuvre en poussière,
Alors, du limon vil, de la cendre grossière,
Où tout s’arrêterait pour le stoïcien,
Renaît un corps nouveau, tout pareil à l’ancien,
Effrayant comme lui pour la Mort altérée,
Mais fait d’une substance encor plus éthérée.
Dans ses veines, après le formidable exil
De la terre, circule un sang vif et subtil ;
Sa lèvre, qu’un rayon touche, se rassasie
D’air immatériel saturé d’ambroisie ;
Son esprit est lumière, et ses sens plus parfaits
Pénètrent d’un seul coup la cause et les effets.
Mais ce qui fut d’abord sa beauté sur la terre
Survit dans son aspect divin que rien n’altère,
Et, lorsqu’il est permis à l’homme sans remords
De les voir dans un rêve, il reconnaît les morts.
Oui, regarde-moi bien, je vis, blanche, enflammée,
Pure, mais telle enfin que tu m’as tant aimée,
Superbe comme Hélène à la clarté du jour.
Et quand, né de la fange et de l’ombre, à ton tour
Tu te verras surgir éperdu vers l’aurore,
N’emportant d’ici-bas que ta lyre sonore,