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LES EXILÉS


Ce sont les lacs sans borne où s’égare mon âme ;
Leur azur éthéré, vaste et silencieux,
Saphir terrible et doux, sans lumière et sans flamme,
Vole sa transparence à d’ineffables cieux.

Je sais que ce désert plein de mélancolie
Engloutit mon courage en vain ressuscité,
Et que je ne peux pas, sans trouver la folie,
Chercher ta perle, Amour ! dans cette immensité.

L’éblouissement clair de ces froides prunelles
Où le féroce Ennui voudrait à son loisir
Savourer le poison des langueurs éternelles
M’enchante et me ravit dans un vague désir.

Il n’est plus temps de fuir, laisse toute espérance !
Ils m’ont appris, ces flots aux cruelles pâleurs,
Les voluptés du calme et de l’indifférence,
Et l’extase a tari la source de mes pleurs.

L’abîme où, sans retour, mon rêve s’embarrasse,
Semble immobile ; mais je le sens tournoyer.
Comme une lèvre humide, il m’attire et m’embrasse,
Et ma lâche raison frémit de s’y noyer.

Eh bien, je poursuivrai mon destin misérable :
Par-delà le fini, par-delà le réel,
Je veux boire à longs traits cette angoisse adorable
Et souffrir les ennuis de ce bonheur mortel.


Bellevue, avril 1858.