Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
185
LES EXILÉS



Baudelaire


Toujours un pur rayon mystérieux éclaire
En ses replis obscurs l’œuvre de Baudelaire,
Et le surnaturel, en ses rêves jeté,
Y mêle son extase et son étrangeté.
L’homme moderne, usant sa bravoure stérile
En d’absurdes combats, plus durs que ceux d’Achille,
Et, fort de sa misère et de son désespoir,
Héros pensif, caché dans son mince habit noir,
S’abreuvant à longs traits de la douleur choisie,
Savourant lentement cette amère ambroisie,
Et gardant en son cœur, lutteur déshérité,
Le culte et le regret poignant de la beauté ;
La femme abandonnée à son ivresse folle
Se parant de saphirs comme une vaine idole,
Et tous les deux fuyant l’épouvante du jour,
Poursuivis par le fouet horrible de l’Amour ;
La Pauvreté, l’Erreur, la Passion, le Vice,
L’Ennui silencieux, acharnant leur sévice