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LES EXILÉS

Crier derrière toi les bouches des blessures.
Comme un chien dont les dents sont rouges de morsures
Et qui, repu déjà, pour se désaltérer
Cherche encore un lambeau de chair à déchirer,
Tu peuples d’ossements la terre et les rivages,
Et tu n’épargnes même, en tes meurtres sauvages,
Ni les rois au front ceint de laurier, ni les Dieux ;
Mais s’ils ont fui devant ce carnage odieux,
Comme rougir la terre est ton unique joie,
Tu cherches les serpents et les bêtes de proie.
C’est par de tels exploits que tu te signalas ;
Mais la terre en est lasse et le ciel en est las ;
Les fleuves rugissants, dans leurs grottes profondes,
Ne veulent plus rouler du sang avec leurs ondes ;
Tes pas lourds font horreur aux grands bois chevelus,
Et, lasse de te voir, la terre ne veut plus
Cacher au fond du lac pâle ou de la caverne
Ta moisson de corps morts promis au sombre Averne.
Et c’est pourquoi les Dieux, qui seront tes bourreaux,
M’ont fait des bras d’athlète et le cœur d’un héros
Pour vaincre l’oiseleur affreux du lac Stymphale,
Car ils réserveront à la gloire d’Omphale
De dompter un brigand, pourvoyeur des tombeaux
Ouverts, dût-elle avoir comme toi des lambeaux
De chair après ses dents et du sang à la bouche,
Et déchirer le cœur d’un assassin farouche.
— Ô reine, répondit Hercule doucement,
Amazone invincible au cœur de diamant !