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LES EXILÉS


À son côté, pareille aux beaux espoirs déçus,
La muse Charité, Grâce fière et touchante,
Au front brillant encor du baiser de Jésus,
Visible pour lui seul, porte une lyre. Il chante.

Et son Ode, si douce au fond des bosquets verts
Qu’elle enchante le lys et ravit la mésange,
Résonne formidable au bout de l’univers
Comme un clairon mordu par la bouche d’un Ange.

Alors, au haut des cieux plus riants et plus chauds,
L’avenir, pénétré, soulève enfin tes voiles,
Ô Rêve ! et le plafond ténébreux des cachots,
Déchiré tout à coup, laisse voir des étoiles.

L’esclave humilié, le pauvre, le maudit,
Sont relevés tandis qu’il accomplit sa tâche,
Et ce rouge assassin de l’ombre, ce bandit,
L’échafaud, démasqué, frissonne comme un lâche.

Esprit caché là-bas dans la brume du Nord,
Il répand sa clarté sur nous, tant que nous sommes.
Qui donc l’a fait si pur ? C’est le courroux du sort.
Et qui l’a fait si grand ? C’est l’injure des hommes.

Le sage errant n’a plus ici-bas de prison.
Le délaissé qui n’a plus rien n’a plus de chaînes.
Sa demeure infinie a pour mur l’horizon ;
Il parle avec la source et vit avec les chênes !