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LES EXILÉS

C’est ainsi que chanta le vénérable Orphée,
Et des antres obscurs une plainte étouffée
Monta comme un soupir dans le désert profond ;
Et les arbres aux durs rameaux venus du fond
De la Piérie, en fendant la terre noire,
Pour ombrager le front du Roi brillant de gloire,
Les hêtres, les tilleuls et le chêne mouvant
Murmuraient comme si dans l’haleine du vent
Leur feuillage eût voulu jeter sa vague plainte.
La gazelle timide, oubliant toute crainte,
Rêvait dans son extase auprès des ours affreux ;
Les tigres, qui semblaient se consulter entre eux,
Échangeaient, frissonnants, des sanglots et des râles ;
Les lions agitaient leurs chevelures pâles ;
Debout sur les rochers qui suivaient les détours
Du fleuve plein d’un bruit sinistre, les vautours
Et les aigles, ouvrant leurs ardentes prunelles,
Se tournaient vers Orphée, ivres, battant des ailes,
Palpitants sous le souffle immense de l’esprit,
Et regardaient ses yeux pleins d’astres. Il reprit :
Ô Dieux ! les animaux que notre orgueil dédaigne
Et dont le flanc blessé comme le nôtre saigne,
Ces lions dont la faim répugne aux lâchetés,
Les chevaux bondissants, les tigres tachetés,
Ces aigles dont le vol est comme un jet de flammes,
Ces colombes du ciel, ont comme nous des âmes.
Le farouche animal, par nous humilié,
Si nous y consentions, serait notre allié.