Page:Banville - Contes bourgeois, 1885.djvu/253

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bien que ses bœufs et ses chevaux. Moi aussi, je vous ai vue plus de vingt fois avec lui, dans sa chambre de l’écurie, dans le grenier à foin, et dans le petit bois qui est au bout du pré ; car, mademoiselle, je marche pieds nus, on ne m’entend pas venir, et je ne fais pas plus de bruit qu’une souris !

— Eh ! dit Rosalie Hulin, qui te croira ? Ce n’est pas M. Simonat, sans doute ?

— Le malheur, dit Suzanne, levant ses grands yeux aux longs cils dorés, c’est que vous et moi, on nous a envoyées à l’école. Toutes les deux nous savons lire et écrire ; mais moi je n’écris pas, je lis seulement. Quand Mabru s’en est allé pour l’héritage de ses parents et qu’il a passé un mois à Larçay, chez son frère le meunier, vous vous êtes trop ennuyée après lui, vous lui écriviez, pour peu, tous les jours que Dieu fait, et moi, j’ai toutes les lettres ! Mabru me les a cédées de bonne amitié ; elles sont dans un lieu sûr, où vous ne les trouverez pas, et M. Simonat les recevrait tout de suite, si on touchait à un cheveu de ma tête.

— Ah ! dit Rosalie, grinçant des dents, tu es aussi la maîtresse de Pierre Mabru !

— Après vous, mademoiselle, dit humblement Suzanne. Je vois bien que vous me souhaitez loin d’ici, et que vous allez m’offrir quelques billets de mille francs. Mais au contraire, mon idée est de rester. Je pense que M. Simonat a assez de méchanceté et de bêtise et d’argent pour nous deux, et que Pierre Mabru a aussi assez de jeunesse et d’amour pour nous deux ; vivons dans une bonne intelligence, et rentrons nos griffes. Si vous voulez bien me supporter, mademoi-