Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/103

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des flèches ses regards qui éveillent le désir, sans repos, sans trêve, sans lassitude, se promène de long en large devant la boutique du pharmacien où flambent, éclairés par le gaz, un bocal vert et un bocal rouge. Pourquoi la Fille de joie en sa marche éternelle ne dépasse-t-elle jamais la boutique du pharmacien ? Les passants ne le savent pas, elle-même l’ignore, et peut-être en restreignant ainsi le champ de sa course errante, cette exilée de tout, dont les talons d’or sonnent à peine sur le bitume, obéit-elle inconsciemment à une nécessité symbolique ?

Elle va lentement, d’une marche savamment rythmée et musicale, répandant autour d’elle le vide immense de sa pensée et le charme de sa grâce horrible. Elle passe tour à tour devant le bocal vert et devant le bocal rouge qui l’enveloppent de leur éclatant reflet, et comme si elle était déjà caressée et baisée par les flammes de l’enfer, sous cette double lueur qui la lèche, la Fille de douleur et de joie apparaît alternativement rouge et verte.


LVI. — DAME EN VISITE

Assis sur un escabeau, devant une petite table de bois blanc sur laquelle est posée une vieille tête de mort jaune comme l’ambre, le frère Foulques dans sa cellule déserte lit les Exaples d’Origène. Plus pâle que sa robe