Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LXV. — ROSES ET LYS

Dans le jardin du poète éclatent, fleuries en même temps, une grande corbeille de Roses et une grande corbeille de Lys. Les Lys et les Roses sont ivres de joie. Le doux vent d’été les caresse et le soleil les baise, et sur leurs corolles enlève les parties claires comme des feux de pierreries. D’une voix qui ne fait pas de bruit et qu’on entend pourtant, de la mystérieuse voix qui sort des choses crues inanimées, ils disent, en se baignant dans la lumière :

— « Nous, les Fleurs, nous sommes heureuses, parce que nous habitons le jardin de l’honnête poète, où nous accomplissons la fonction qui nous est propre, et où nous existons en tant que Fleurs, purement et simplement, sans craindre de fournir un prétexte à des tropes classiques, et d’être employées comme terme de comparaison. Et comme dans ce jardin ne viendra aucun philistin et aucun diseur de lieux communs, personne ne prétendra que nous avons des rapports quelconques avec les papillons ailés, ce qui est aussi bête que de supporter des amours entre les colombes et les crocodiles. Et nous, les Lys aux pétales droits et aux boutons verts, nous lèverons glorieusement nos pistils d’or ; et nous, les rougissantes Roses aux cœurs extasiés, nous