Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/119

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mieux ficelée qu’hier. Elle y arrivera, mille trompettes !

— Ou elle crèvera, » dit philosophiquement le capitaine Loiseau en posant le double-six.

Enfin, Adhémar entre. Il jette autour de lui des regards heureux, donne çà et là des poignées de main, demande son absinthe, et retrousse sa moustache mince comme un fil ; mais il ne voit pas plus Zéphirine que si elle était à cent mille pieds sous terre. Puis Adhémar va au miroir et délicieusement s’admire. Strictement moulé dans son dolman bleu, il est mille fois plus mince que la demoiselle de comptoir. Il tiendrait dans les dix doigts d’une petite fille et passerait à travers une bague. Il se contemple, se trouve adorable, et cependant, par respect humain, n’ose envoyer des baisers à son image, réfléchie par une glace complaisante. Zéphirine, désespérée, remonte chez elle, casse vingt lacets, et arrive encore à se diminuer d’un centimètre. Mais une fois redescendue, elle comprend, en mesurant des yeux la fine taille du lieutenant, combien elle est loin de pouvoir lutter avec lui. Et comme Joseph, le garçon de café, vient de lui demander si elle ne désire pas qu’il lui serve son déjeuner, la mince demoiselle lève languissamment ses amoureuses prunelles, et regarde Adhémar, comme Ève chassée regarda la porte du paradis terrestre :

— « Non, dit-elle, donnez-moi seulement un petit verre de vinaigre ! »