Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/138

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ses yeux aux énormes cils vers la dame assise au comptoir.

C’est une beauté de keepsake, une barbière élégante et sentimentale, qui roule des yeux de gazelle et fait la bouche en cœur. Elle voit la légitime curiosité du mathématicien, et, montrant son mari d’un geste aimable et gracieusement arrondi :

— « Ne faites pas attention, dit-elle, c’est qu’il est fou ! »

Et le fou recommence à sauter, à voltiger, à s’élancer comme d’un tremplin. C’est un fou méridional, au visage bleu et aux prunelles de phosphore. Parfois, il s’enlève comme un aérostat, sa tignasse noire touche le plafond ; puis il redescend, et toujours son rasoir exécute autour de la tête médusée un formidable moulinet de tranchants et d’éclairs. Mais sans transition, il se calme, achève la barbe avec une agilité de singe, et s’inclinant devant le vieillard avec une telle ardeur que cette fois ses noirs cheveux balayent le carreau :

— « Si vous êtes content (contagne,) dit-il, vous reviendrez ! »

Mais Nisolle n’entend pas. Il pose sur le comptoir une pièce d’argent, et s’en va sans attendre sa monnaie. Il a déjà oublié cette scène de massacre, et replongé ses profonds yeux dans les Infinis, parmi les Nombres vertigineux et le tas fourmillant des Astres !