Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/150

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et des milliers de siècles avant l’heure sacrée et triomphale, débordée de joie, où nous avons enfin vu, dans l’extase de la lumière brûlée d’allégresse, ce qui ne peut être exprimé, même par les mots célestes ; avant que nous eussions habité, sans cesse renouvelés, rajeunis et grandis, tant de planètes et d’astres ; avant que la longue persistance d’un mutuel amour nous eût rendus exactement pareils l’un à l’autre, si bien que mon visage réfléchit le tien comme un miroir, et que les yeux des Anges ne peuvent reconnaître l’une de l’autre nos deux pensées et les flammes de nos deux chevelures ; oui, bien avant tout cela, nous avons habité ce tout petit point lointain et vague ; et même, je le sais encore, nous y avons connu quelque chose qui se nommait la Souffrance ; mais je ne me rappelle plus ce que c’était ! »


LXXXVI. — L’ARBRE

L’arbre est condamné, parce qu’il a grandi tout à fait trop près de la maison, à laquelle il donne de l’humidité. C’est un pin énorme, droit et magnifique, à l’écorce jaunissante, dont les branches sont horizontales comme celles d’un cèdre, et dont la sombre verdure est mêlée de ses pommes encore vertes. Mais il est trop près de la maison, il faut qu’il meure, et voici le bourreau. C’est le père Pédroleau, un bûcheron très vieux, qui ne couche pas dans sa chambre deux fois par an, qui toujours