Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/168

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qui coupait son visage en deux blanchit et s’efface, et les souvenirs, les légendes, les rêves se mêlent confusément dans sa vieille caboche de bois. Gachet, l’alerte manchot qui est un enfant auprès de lui, car il n’a pas plus de soixante-dix ans, écoute son supérieur avec tout le respect militaire, et aussi avec la naïve ingénuité d’un Jocrisse.

— « Oui. mon petit, continue Picquenard, comme je vous le disais, j’étais couché, avec mes souliers et tout, sur un canapé de satin blanc, et la princesse de Chypre me versait du vin avec une cruche d’or. Et puis elle me mettait ses bras au cou, et elle me disait : Ne t’en va pas, ou je fais un malheur ; j’ouvre la fenêtre, et je me fiche dans la mer !

— Et vous, sergent, dit Gachet affriandé, qu’est-ce que vous répondiez à ça ?

— Moi, reprend Picquenard en faisant claquer ses lèvres noires, je lui disais : Ma petite mère, l’amour et tout ça, c’est très gentil, mais il faut que j’aille conquérir des villes. Et si je m’amusais ici à la bagatelle, comme un fainéant, au lieu d’entrer dans les capitales, qui est-ce qui ferait un nez ? Ça serait l’Empereur ! »


XCIX. — IMITÉ D’ÉSOPE

L’infatigable musicien, le vieux cygne octogénaire, Tizoles est debout, entouré de femmes, de nymphes, de fillettes, dans son joli hôtel de la rue Saint-Georges, dont