Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/169

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les satins, les ors, les tentures ont vieilli avec lui, et comme lui se défendent, amas de choses effacées, mais jeunes et charmantes. Le maître aussi est jeune, ou du moins, il le serait sans la coupe de ses favoris, taillés comme ceux de monsieur Scribe, et tout ce petit peuple qui autour de lui rit, babille et foisonne, troupe ailée de la Danse et du Chant, les Alida, les Anty, les Michelin 1re, les Goguelu 2e, jette sur son pâle visage le reflet rose et pourpré de cent bouches rougissantes. Ainsi grisé de parfums, d’aimables voix, de chair vive, Tizoles se rappelle nettement les amours, les verts sentiers foulés, les ivresses des vingt ans, l’églogue à deux sous, les sentiers de Meudon. Et quand je dis Meudon, suppose Tivoli !

Tout cela, il se le rappelle si bien qu’il veut le raconter à la petite Morize, la mettre de moitié dans ses souvenirs, et à ces causes, il l’entraîne dans le petit boudoir voisin, tendu de rose, dont le blanc tapis a été effleuré, quarante années auparavant, par les pieds légers de Fanny Ellsler. Mais au moment redouté, le bonhomme sent couler dans ses veines une si implacable glace qu’il s’épouvante, et ne peut articuler un mot. C’est en vain qu’il s’efforce ; en lui tremble et gémit l’âpre hiver, et dans son désespoir, Tizoles fait comme le bûcheron d’Ésope ; il appelle la Mort à son secours.

Elle vient, mais souriante, attifée, adoucie. C’est une Mort d’opéra-comique, avec une jolie perruque sur son crâne, du rouge sur ses joues de squelette, et une pâle fleur à son corsage. Elle est enveloppée d’un léger voile,