Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/189

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a roulé, tout ouvert, son cher Pindare, couturé et zébré de notes marginales, écrites à la main. Tanné, ridé, modelé par l’Étude implacable, ce savant est horrible et beau ; ses sourcils touffus sont comme des crinières ; son long nez est encadré par des rides profondes, et son menton ressemble à une grosse pomme. Sa cravate blanche en corde, son habit noir meurtri et fouetté par les nuées, n’ont plus forme humaine ou inhumaine ; mais tout cela est comme éclairé et transfiguré par la flamme du génie.

Les Nymphes de la forêt, qui de loin ont aperçu le vieux songeur, accourent, les bras levés, les seins au vent, les chevelures rousses dénouées, et nombreuses, pressées, souriantes, mènent autour de lui leurs danses rhythmiques, afin qu’il soit charmé, et croie seulement les avoir vues en rêve. Mais, prenant pour une grosse fleur pourprée la lèvre du savant où voltigèrent tant et tant de fois les chants divins, une abeille lui pique la bouche. Et subitement éveillé, Maurial voit, penchées encore sur lui, des Nymphes qui viennent de baiser ses paupières et son vieux front parcheminé, plein de rêves.

Mais ces danseuses ne se troublent pas pour si peu. Elles regardent le savant avec un bon rire ami, et parlant pour toutes ses compagnes, Théano, dont les joues rougissent de plaisir, dit, en lui faisant une belle révérence :

— « Excusez-nous, monsieur et ami, nous entendons le grec ! »