Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/63

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dages, les mâts élancés dans le ciel d’un bleu intense ; il entend les cris des matelots ; il hume avec joie la brise imprégnée de la senteur du goudron. Le navire qui l’emporte fend glorieusement les flots verts éclaboussés d’or. Enveloppé par l’air tiède, il passe près de vertes îles, d’où lui arrivent les parfums capiteux du musc, du poivre, de la vanille ; et ces suaves odeurs, le poète les savoure et s’en grise en respirant les haleines que tout à l’heure ont mêlées à l’air de sa chambre la chair et la chevelure de sa noire bien-aimée !


XXVIII. — LE TOUCHER

Quelqu’un a discrètement frappé à la porte de la loge, et Lise Jolia a certainement cru que ce quelqu’un était son habilleuse, car elle a répondu : Entrez ! De sorte qu’au moment où l’aimable auteur dramatique Lucien Arg entre en effet, il trouve la jeune comédienne dans la tenue initiale d’une Ève qui n’aurait pas encore mis sa feuille de figuier. Aventure très simple, le costume travesti que Lise va endosser tout à l’heure ne comportant pas de chemise. En Parisien que rien n’étonne, Arg s’assied tranquillement, et, avec une sérénité parfaite, cause de La Tour de Nesle et des affaires d’Égypte.

Cependant, un peu humiliée et blessée de n’avoir pas même entendu un : Oh ! de surprise et d’admiration, mademoiselle Jolia sent sa pudeur se réveiller meurtrie,